Architecture et décor
Mazarin décida en 1642, année de son entrée au conseil royal, de s'installer dans l'hotel de Chevry-Tubeuf, situé à proximité du Palais-Royal où résidaient la Régente Anne d'Autriche et le jeune Louis XIV. Il y entreprit d'importants travaux d'extension et d'embellissement, confiant notamment à François Mansart en 1644 la construction des galeries Haute et Basse qui accueilleront ses collections d'art. Depuis la fin de l'année 1642, Gabriel Naudé était entré à son service et avait entrepris pour son nouveau maître de concevoir et de développer la plus belle et la plus volumineuse bibliothèque que l'Europe ait connue. En 1646 les architectes Pierre Le Muet et Maurizio Valperga furent chargés d'édifier le long de la rue de Richelieu un bâtiment dont le rez-de-chaussée était destiné aux écuries du cardinal, et l'étage à la bibliothèque. Il comprenait une exceptionnelle galerie éclairée à l'est par huit grandes fenêtres, et dont les murs ornés de boiseries accueillaient des rayonnages sur toute leur hauteur. Ce modèle moderne d'organisation bibliothécaire, conçu à l'Escurial au XVIe siècle, s'est sans doute imposé à Mazarin et à Naudé par l'intermédiaire de la bibliothèque romaine des Barberini. La grande galerie comportait en partie basse un régime de tablettes destinées aux grands formats et surmonté d'un pupître courant à hauteur d’homme sur l’ensemble de sa périphérie. Les travées, rythmées par 54 colonnes cannelées, supportaient un balcon. Le garde-corps de celui-ci, comme l'ensemble du décor de bois sculpté de la galerie, portait le chiffre et les armes de Mazarin. Pendant la Fronde, la dispersion en vente publique des livres du cardinal, au début de l'année 1652, vida temporairement ce cadre somptueux.
Si les collections d’art de Mazarin furent dispersées après sa mort (9 mars 1661), ce ne fut pas le cas de la bibliothèque. En vertu de dispositions que le cardinal avait fixées dans son testament quelques jours avant sa disparition (le 6 mars), mais qu’il avait conçues de longue date, la bibliothèque était destinée au public et serait jointe au Collège dont la fondation allait perpétuer sa mémoire.
Le conseil chargé de l'exécution de cette fondation, qui comptait entre autres Jean-Baptiste Colbert et Michel Le Tellier, envisagea plusieurs lieux susceptibles d’accueillir les bâtiments du nouveau Collège. C’est l’architecte du roi Louis Le Vau (1612-1670) qui suggèra l’emplacement finalement retenu, en bordure du Quartier Latin et face au Louvre, sur le site de la Porte de Nesle qu'il fallut donc abattre. Les premiers plans et élévations de Le Vau datent de l’année 1662. Le bâtiment, parfait équilibre entre l’héritage baroque italien et les ambitions nouvelles d’un classicisme à la française, fut organisé de part et d’autre d’une chapelle, affectée à l’usage du collège et destinée à abriter le cénotaphe du cardinal. L’aile gauche fut dès l’origine réservée à la bibliothèque, pour laquelle Le Vau a conçu un volume non plus rectiligne comme dans le Palais Mazarin mais constitué de deux galeries se joignant à angle droit. Les travaux, qui durèrent plus de vingt ans, furent suivis après la mort de Le Vau (1670) par François d’Orbay, auteur notamment de la coupole de la chapelle. Une fois achevé le pavillon de la bibliothèque, les livres furent transférés dans les bâtiments du Collège qui lui étaient destinés, et l’ensemble du somptueux décor initialement conçu pour la galerie de la rue de Richelieu - colonnes, piédestaux, chapiteaux, tablettes et boiseries - fut adapté et réinstallé dans le nouvel espace. La Bibliothèque Mazarine, dont la vocation publique était non seulement confirmée mais renouvelée, put rouvrir aux lecteurs en 1689.
Le bâtiment de la bibliothèque a connu depuis lors deux modifications majeures. La voûte conçue par Le Vau pour les deux galeries montra des signes de faiblesse dès le début du XVIIIe ; on décida de la remplacer par un plafond en 1739-1740, ce qui permit d’étendre les capacités de stockage en partie haute, au-dessus du balcon. En 1824, l’architecte Léon Biet réalisa, sous la direction d’Antoine Vaudoyer, un escalier d’honneur au décor néo-classique, inscrit dans un tambour ovale à éclairage zénithal, et couronné d’une galerie ornée de bustes antiques.
De nombreuses oeuvres d’art sont venues compléter cet ensemble à la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe : bustes en marbre, bronze ou terre cuite, représentant des empereurs romains, des auteurs de l’Antiquité ou des savants des XVIIe et XVIIIe siècles, ornent les accès à la bibliothèque et la salle de lecture ; la petite galerie est éclairée par deux remarquables lustres de style rocaille en bronze ciselé et doré, attribués à Jean-Jacques Caffieri et ayant appartenu à la marquise de Pompadour ; parmi les ornements de la grande galerie, un globe céleste de Coronelli, avec méridien en cuivre de Gatellier (1693), et une terre cuite de Clodion (1738-1814) représentant le poète Arion sauvé du naufrage par un dauphin.
Bibliographie :
- Roger-Armand WEIGERT, "Le Palais Mazarin, architectes et décorateurs", Art de France, II, 1962, p. 147-169.
- Hilary BALON, Louis Le Vau : Mazarin’s College, Colbert’s revenge, Princeton, University Press, 1999.
- Jean-Pierre BABELON, Le Palais de l'Institut : du Collège des Quatre-Nations à l'Institut de France, Paris, nicolas Chaudun, 2005.
- Pierre GASNAULT, "Collège des Quatre-Nations : la bibliothèque Mazarine", Les bibliothèques parisiennes, architecture et décor, dir. Myriam Bacha et Christian Hottin, Paris, Action artistique de la Ville de Paris, 2005, p. 87-89.
- Yann SORDET, "D'un palais (1643) l'autre (1668) : les bibliothèque(s) Mazarine(s) et leur décor", Journal des Savants, 2015, p. 79-138.